

François Lafond
François Lafond est un expert en affaires européennes et en coopération internationale. Ancien Conseiller spécial de la France en Serbie (2022-2023), il a précédemment conseillé le Vice-premier ministre chargé des Affaires européennes en Macédoine du Nord (2017-2021). Il est également chercheur associé à l'Institut Montaigne et a été directeur du German Marshall Fund à Paris. Il a traduit en français de l’italien le livre de Sandro Gozi. Génération ERASMUS: ils sont déjà au pouvoir (Plon, May 2016) et a été nommé par le président de la République italienne Ufficiale della Stella d’Italia en novembre 2014.
Version originale en français de l'interview
Comment le contexte historique des relations franco-américaines a-t-il influencé la perception des élections américaines en France ?
Le premier élément d'analyse, je pense, c'est la perception des États-Unis en France n'est pas la même que la perception des États-Unis en Italie, à la fois pour des raisons historiques très profondes. La relation entre la France et les États-Unis est une vieille relation que le président Joe Biden a mentionnée plusieurs fois, notamment quand il est venu en Normandie pour l'anniversaire du débarquement. C'est quand même la reconnaissance que l'existence même des États-Unis a été rendue possible grâce à l'intervention française contre le colonisateur anglais. Et donc, pas dans les nouvelles générations ou autres, mais dans les gens un peu cultivés, entre guillemets, les politiques ou autres, il y a toujours cette idée que la France et les États-Unis ont un peu une relation particulière en raison de ce contexte-là. Ce que ne peut pas avoir l'Italie. Alors, l'Italie a autre chose. L'Italie a des bonnes relations en raison même de l'immigration italienne, ce que la France, par exemple, n'a pas fait, en raison du fait que l'Italie a perdu la Deuxième Guerre mondiale et donc a dû, plus ou moins, se plier à ce que les États-Unis souhaitaient d'un point de vue sécuritaire, défense, avec des bases américaines en Italie, ce que nous, on n'a pas en France. Il y a beaucoup de points communs entre la France et l'Italie, mais là, concernant les États-Unis, la perception que les gens peuvent avoir de leur propre relation avec les États-Unis est différente en raison de ce contexte historique qui a commencé il y a deux siècles pour la France et qui continue. Avec, en France, et c'est aussi une différence avec l'Italie, une sorte d'anti-américanisme un peu primaire de certains partis politiques. De tradition, la gauche française, le Parti communiste a toujours été anti-américain pour x raisons. Le général de Gaulle, même de son côté, n'était pas du tout anti-américain, mais avait toujours une volonté de se distinguer, une distinction par rapport aux États-Unis, avec notamment la volonté que la France soit un pays souverain, indépendant, y compris des États-Unis, qui pourtant avaient libéré la France, qui avaient contribué à la victoire côté alliés. Donc, il y a un peu cette différence due à l'histoire ancienne et récente, et au contexte politique. Généralement, en Italie, les partis politiques sont plutôt favorables, si on prend la démocratie chrétienne, et même le Parti communiste était un peu critique, mais comme il était beaucoup plus distancié par rapport à Moscou que, par exemple, le Parti français, l'anti-américanisme n'était pas aussi prononcé. La situation d'aujourd'hui, la situation politique, est également différente. Vous avez un président Emmanuel Macron qui a des difficultés [...] tout en étant critique sur le rôle de l'OTAN, qui ne fonctionnait pas avant la guerre en Ukraine, sur la volonté d'indépendance de la France, sur l'autonomie stratégique qu'il voulait mettre au niveau européen. Le président Macron a toujours voulu renforcer l'Union européenne, qui pouvait être perçue aux États-Unis et à Washington, pour une sorte d'indépendance, une volonté de se détacher des États-Unis et du contexte occidental. Ça a duré quelques années, jusqu'à ce que Emmanuel Macron, le président français, reconnaisse explicitement que renforcer l'Union européenne et la souveraineté européenne, ce n'est pas aller contre les États-Unis, c'est au contraire renforcer le pilier européen de l'OTAN, de défendre, d'être plus utile pour les Américains.
Le message a réussi à passer à la fin. L'administration actuelle démocrate considère qu'effectivement, le renforcement de l'Europe n'est pas forcément au détriment de la relation transatlantique.
En Italie, un des paramètres pour évaluer l'action de la nouvelle première ministre Giorgia Meloni, ça a été de savoir comment elle s'en sortirait avec le transatlantisme, avec la relation avec les États-Unis, dans une coalition A3, où Forza Italia, et Antonio Tajani, le ministre des Affaires étrangères, a de tradition un atlantisme assez fort. Silvio Berlusconi avait aussi cet atlantisme assez fort. Silvio Berlusconi, c'était plus compliqué, parce qu'il gérait aussi très bien Poutine, mais en tout cas, le Forza Italia actuel et Tajani sont pro-américains, et de l'autre côté de la coalition, côté droit avec la Ligue, qui, au contraire, est plutôt anti-américaine et plutôt pro-russe. Et donc, l'évaluation de l'action de Giorgia Meloni, un des critères, c'était comment elle aller faire pour maintenir cette espèce de grande amitié entre l'Italie et les États-Unis. Et Meloni a donc réussi jusqu'à présent, à mon avis, à être bien balancée et à entretenir de bonnes relations avec les États-Unis, en dépit d'une coalition qui pouvait lui poser des problèmes. En particulier à cause de la guerre en Ukraine, qui a demandé à tous les gouvernements de se positionner d'un côté ou de l'autre. Et comme l'Italie aussi avait une partie, en tout cas business, très orientée sur la Russie, ils auraient pu, et la Lega qui défend les intérêts des petites et moyennes entreprises au nord pouvaient être un peu affectées par ça. Donc il y a deux perspectives, à la fois historiques et politiques, qui sont quelque peu différentes, en général, par rapport aux États-Unis.
Quels événements spécifiques au cours de la campagne électorale américaine ont le plus marqué les Français ?
Je pense qu'il y a eu des événements marquants, comme partout. C'est bien sûr le fait que Joe Biden « traîne », continue de vouloir être le candidat malgré un état, un âge avancé, ce qui, côté français, semblait quand même un peu étonnant, sachant que même si Emmanuel Macron est peu apprécié en ce moment par l'opinion publique, ça reste quelqu'un de moins de 50 ans qui a été élu jeune, qui est dynamique, qui fait plein de choses, etc. Donc, le contraste entre les deux pouvait faire penser que, quand même, du côté américain, on a deux vieux hommes de plus de 70 ans qui vont se faire la campagne. Ça paraissait un petit peu déconnecté par rapport à l'image qu'on peut avoir des États-Unis. Ce qui peut être surprenant. C'est-à-dire un pays qui estime être un modèle de démocratie pour le monde, etc. En dépit de ce qui s'est passé il y a quatre ans avec Donald Trump et l'affaire au Congrès. Mais ils continuent d'avoir cette prétention d'être un modèle démocratique, « check and balance » et on pouvait considérer qu'ils n'étaient pas capables, que le système politique américain n’était pas capable de sélectionner deux candidats, républicains ou démocrates, autre que deux hommes de plus de 75 ans. Donc, il y avait une sorte d'incompréhension que le système politique ne soit pas capable de se régénérer d'une certaine façon dans la campagne. Ensuite, les Américains, il y a eu une prise de conscience et ils ont compris que Joe Biden n'était pas forcément à l'issue d'un débat américain catastrophique pour Joe Biden face à Donald Trump, etc. Ils ont compris qu'il fallait changer de cheval. Mais à mon avis, c'est une erreur de Joe Biden, parce que ça n'a pas permis d'organiser des primaires démocrates et donc éventuellement de mettre en concurrence Kamala Harris, dont tout le monde savait que ce n'était pas la meilleure candidate pour affronter Donald Trump puisqu'elle n'avait pas été une super vice-présidente pendant quatre ans. Et même si elle s'est bien débrouillée dans le seul débat qu'elle a eu avec lui, on sentait que la campagne était en train de patiner un petit peu. Donc, ça, c'est un peu l'impression d'un système politique.
Un autre élément qui a pu surprendre les Français, je pense, c'est quand même que quelqu'un comme Trump, après tout ce qu'il a fait, après tous ces ennuis judiciaire […] puisse être en mesure de recontrôler un parti politique tel que le Parti républicain […]. Donc, ça, c'est un peu quand même un côté surprenant français. […] C'est peut-être une différence de perception entre le côté américain et le côté français, notamment dans le domaine du business. […] Pour eux [les étasuniens) la première présidence Trump, économiquement, a été plutôt une bonne présidence, économique, croissance, la bourse allait bien, l'intérêt de se réorienter sur les questions domestiques et pas de continuer à être le gendarme du monde ou autre. Donc, il y a beaucoup de businessmen qui étaient plutôt intéressés parce que c'était leur propre intérêt. […] D'un point de vue juste américain, Trump est une solution qui n'est pas si mauvaise que ça. […] Donc ça, c'est un peu quand même l'interrogation que les Français ont pu avoir tout au long de la campagne, avec d'abord ce choix un peu bizarre, cette absence de sélection rationnelle ou logique.
L'autre événement, c'est peut-être l'attentat contre Donald Trump. Donc il y a quand même cette idée aussi, il a de la chance, il est béni des dieux, il a une sorte de protection. Il a joué là-dessus aussi, en disant je suis un massif ou autre. Donc il a tenté de maximiser cet événement pour montrer qu'il était solide, qu'il était le seul à pouvoir résister à tout, même à un attentat, etc. Il y a une dimension aux États-Unis qui est peut-être plus importante en raison même de l'histoire des États-Unis et des attentats vis-à-vis des présidents ou des candidats. Il y a J.F.Kennedy tué, le frère tué. Donc il y a aussi une perception sur le fait d'avoir un attentat qui est différente. […] Donc c'est maximiser, surévaluer cette dimension masculine de force qui est une permanence ici dans la campagne de Donald Trump. Généralement, on met les mecs devant qui sont forts, costauds, pas forcément bien malins, mais pour montrer que la force reste quelque chose d'important en politique et plus vous êtes grands et costauds et que vous avez des biceps, plus ça marche. Et avec des femmes qui rentrent dans le jeu, qui aiment bien ça, qui valorisent aussi cette dimension. C'est pour ça qu'il avait fait venir le catcher, c'est pour ça qu'il est allé ensuite à un match de catch.
Il y a toute une dimension machiste de la campagne qu'on n'a pas en France, par exemple, ou qu'on n'a pas en Italie. Alors, est-ce que c'est dû simplement à Donald Trump ? Non, je ne crois pas. Mais il y a vraiment une amplification de cette dimension un peu masculine. Il ne faut pas forcément être très intelligent pour devenir président des États-Unis. Alors qu'en France, il y aura d'autres critères. En France, […] il y a toute une série de rites qui sont différents, d'ailleurs en France, en Italie et aux États-Unis. Ça, c'est propre à chaque pays.
Quels sont les enjeux de cette élection qui suscitent le plus d’intérêt ou de débat en France ? Y a-t-il des thèmes qui préoccupent davantage les Français que d'autres ?
Je pense que, un, la sélection, deux l'attentat, c'est important. Peut-être la surprise. Ça, c'est même aux États-Unis. [..] Une grande incertitude durant les derniers jours de la campagne. On n'était pas sûrs de ce qui allait se passer, y compris les médias n'étaient pas là.
Et deux, l'amplitude de la victoire de Trump. Après, a posteriori. Cette fois-ci, il a gagné tous les États qui étaient les swing states, les six sept États qu'on considérait comme importants, parce que c'est eux qui font la bascule en général.C'est sûr qu'en Californie ou à New York, on sait qui va gagner. Mais les six sept finalement, dont on n'était pas sûrs, sont tous allés à Donald Trump. Il n'y a pas eu de demi-mesure, premièrement.
Deuxièmement, le nombre d'électeurs qui ont voté pour lui. Cette fois-ci, à la différence de la fois précédente, où il y avait 5 millions d'électeurs en plus pour Hillary Clinton, donc pour son adversaire, mais du fait de ce système électoral, c'est Trump qui avait gagné. Sur ce coup-là, il a aussi eu quatre ou cinq millions d'électeurs sur l'ensemble du territoire. C'est une victoire majeure qu'il faut reconnaître, qu'on aime ou qu'on n'aime pas. En tout cas, le résultat est plus ample que ce qu'on aurait pu imaginer avant l'élection, avec une forte mobilisation aussi de votants par correspondance, en avance.[...]
donc la victoire, il faut la reconnaître.
Les enjeux de cette élection qui suscitent le plus d'intérêt au débat. […] Donc un, il y a effectivement la guerre en Ukraine, qui pose un problème selon qui pouvait être élu. Donc là, on sait que, d'après ces déclarations ou autres, ce qui va se passer en Ukraine et comment on va traiter avec Poutine, ça va être une chose. Peut-être un élément spécifique, je ne sais pas si c'est passé avant ou après, mais il y avait eu un reportage télévisé sur France 5, sur les relations Trump-Russie.
Ce sont des journalistes français ou autres, mais sur la base aussi de documents américains, qui ont fait une enquête comment Donald Trump a commencé à faire des affaires, ou voulait faire des affaires immobilières à Moscou, et comment il a été « instrumentalisé » par un certain nombre de services secrets […) russes, parce que c'était une proie assez facile, c'est-à-dire, c'est un agent immobilier qui vient à Moscou il y a 20 ans, qui veut faire du business. […] Je pense, et ça on le verra au fur et à mesure, mais la relation Trump-Poutine est beaucoup plus complexe que ce qu'on peut imaginer, et ce qui explique aussi une partie de ce qu'il avait fait quand il était au pouvoir au premier mandat, et ce qui risque d'expliquer une partie de ce qui va se passer en Ukraine et ailleurs.
Pour être très clair, l'idée existe qu'il y aurait des « kompromat ». […] Ce sont les services secrets russes qui essayent de piéger soit les hommes politiques, soit les agents étrangers, soit les businessmen avec des femmes. Tout ça est filmé […]. Et donc l'idée qui existe, c'est que les Russes ont des « kompromat »., c'est-à-dire ont des preuves de ce genre de choses. Alors pour Donald Trump, tout le monde s'en fout, parce qu'on sait qu'il le fait, donc à la limite l'effet dissuasif-pression sur lui est beaucoup moins important que si vous avez affaire à un homme marié. […] Et donc il y a eu un reportage très bien fait […] où on explique comment Donald Trump, par ses voyages à Moscou, ses relations, sa volonté de construire une grande tour Trump à Moscou, avait été aidé en quelque sorte par les Russes, et notamment par la mafia russe aussi, c'est-à-dire l'argent sale, pour construire ça. Et puis à la fin ça ne s'est pas fait pour x raisons, mais il y a cette suspicion que les relations entre Donald Trump et Vladimir Poutine, Donald Trump et la Russie, ne sont pas aussi évidentes qu'avec Joe Biden. Joe Biden, c'était clair, considérait que Poutine était un tueur..
Alors, les enjeux de ces élections. Donc j'ai dit un, la guerre en Ukraine et la question de la sécurité. Deux, l'OTAN, qui est un peu lié, c'est-à-dire la participation américaine à l'OTAN. Ça, ça intéresse plus le côté italien. Parce que la relation entre la France et l'OTAN, et l'Italie et l'OTAN, c'est différent. Pour la raison bien simple que vous avez des soldats OTAN en Italie, que vous avez une base à Naples, ce que nous on n'a pas en France. Donc la sensibilité du personnel politique du gouvernement italien par rapport à ce qui pourrait se passer vis-à-vis de l'OTAN, c'est important, premièrement. Et deuxièmement, c'est d'autant plus important que l'Italie ne remplit pas une des conditions, entre guillemets, de sa participation à l'OTAN, c'est qu'elle ne dépense pas 2% de son budget dans les questions de défense. Ce que nous, maintenant, on arrive à faire, ce que la plupart des partenaires, c'est-à-dire polonais, grecs, pays baltes, ils le font. Les Italiens ne le font pas et les Allemands ne le font pas. Et ça, ça peut gréver, ça peut impacter la relation États-Unis et Italie beaucoup plus États-Unis et France. Parce que nous, on n'a pas ce problème de base de l'OTAN, de soldats américains sur notre territoire. [...]
Mais ça reste un sujet, qu'est-ce qui va se passer en Ukraine, puisque la France a été très impliquée sur le fait qu'il faut absolument défendre l'Ukraine face à la Russie, quitte à envoyer des armes. On fait comme avec les États-Unis, là où l'Italie est beaucoup plus précautionneuse.[...]
Le deuxième sujet qui peut être important, de la même façon, à mon avis, différemment, mais de la même façon, c'est l'impact commercial, c'est la politique commerciale. C'est-à-dire, si Donald Trump décide d'augmenter les droits de douane vis-à-vis de certains produits français, ou de produits italiens, ça aura une vraie conséquence économique. Et alors, ça ne sera pas forcément orienté de la même façon. C'est-à-dire, nous, ça sera plutôt les produits de luxe. En Italie, ça sera plutôt les produits de petite et moyenne entreprise, ou l'automobile, ou autre. Donc là, il y a un sujet. C'est-à-dire que ça peut susciter un débat de savoir comment Donald Trump va agir, va réagir, avec quel impact.
Et à mon avis, ça préoccupe quand même les Français. En tout cas, le gouvernement français est très préoccupé par ça, parce que ça peut avoir un impact sur nos produits agricoles, sur nos produits de luxe. […] Giorgia Meloni, elle a entretenu, pour x raisons, de bonnes relations, moins avec Donald Trump, parce que c'est un peu difficile, mais de façon un peu bizarroïde avec Elon Musk. […] Il y a eu un dîner à Washington, Atlantic Council, qui a organisé ce dîner-là, où Meloni a reçu un prix […] qui a été donné par Elon Musk[…] Mais ça veut dire qu'il y a des bonnes relations entre Elon Musk et Giorgia Meloni, et qu'elle estime pouvoir utiliser ça pour éventuellement faire passer des messages indirectement à Donald Trump, puisque Elon Musk aura un rôle important dans la prochaine administration américaine.
L'avortement [...] a été un thème notamment brandi par les démocrates, parce que c'était un angle d'attaque relativement facile, parce que lors de la première présidence Trump, il y avait déjà eu une réduction du droit d'avorter, avec la remise en cause de l'arrêt de la cour constitutionnelle. Ça n'a pas été suffisant. Apparemment, même si c'était porté par une femme, […] je ne suis même pas sûre que toutes les femmes aient voté pour Kamala Harris. Et donc, c'est même, je pense, une des raisons de sa défaite, en plus de certaines minorités, et de ce qui s'est passé à Gaza, ou autre. Mais bon, c'est une sorte de retour en arrière, c'est une vague de conservatisme. Alors, je ne sais pas si c'est en raison d'une couverture médiatique, d'un travail de fond par la télé Fox News, ou autre, qui sont des conservateurs[…] Il y a tout un discours, pas réactionnaire, mais traditionnel, comme au Vatican.
Et je ne sais pas, il faudrait vérifier en Italie, mais la prégnance du catholicisme en Italie, et du rôle du pape en général, je pense que ça correspond aussi à la position de Giorgia Meloni, qui est en train de réduire un certain nombre de libertés pour les homosexuels, ou autre. Donc, cette conception du monde moins progressiste, libertaire, ou de liberté, pour le coup, ça rassemble Vladimir Poutine, qui critique les valeurs occidentales complètement dépravées, Donald Trump, qui utilise ça, même si pour lui, il ne se l'implique pas, mais en tout cas, il surfe sur cette espèce d'évangélisme, les catholiques et avec Giorgia Meloni. Donc là, il y a une sorte de lien beaucoup plus fort qu'avec la France, puisque nous, au contraire, on a poussé pour que l'avortement soit inscrit d'abord dans la constitution française, et ensuite dans la charte des droits fondamentaux à Bruxelles. Donc, on a poussé au niveau européen pour que ça soit intégré, Giorgia Meloni n'était pas forcément très favorable. […] L’avortement, c'est un sujet qui peut nous distinguer du futur Donald Trump, et de ce qui va se passer aux États-Unis, plutôt en ligne avec ce qui se passe en Italie[...]
Comment les Français perçoivent-ils l’influence des États-Unis sur les grandes questions internationales, et cette perception joue-t-elle un rôle dans leur intérêt pour les élections américaines ? Quelles sont les questions où cette influence est la plus ressentie ?
Cela dépend de quel côté, de quel parti politique. Le Rassemblement national, qui est un parti maintenant important à 30%, essaye toujours de se distinguer. Alors, ce n'est pas anti-américain, mais c'est la France d'abord, donc ce n'est pas forcément en faveur d'une bonne relation transatlantique. […] Mais c'est quand même l'idée de défendre les intérêts français ou autre, et pas une relation particulière avec les États-Unis, d'autant qu'ils sont généralement plutôt, entre guillemets, pro-russes pour des raisons financières, parce qu'ils avaient à un moment les seules banques qui avaient été capables de leur prêter de l'argent quand ils étaient un petit parti politique, c'était les banques russes, parce que tout le monde en France les ostracisait, ne voulait pas leur prêter de l'argent. Donc il y avait un peu ce penchant, et puis souvent des déclarations de Jean-Marie Le Pen plutôt attentistes vis-à-vis de Poutine, donc pas très critiques, c'était pareil avec Bachar el-Assad. Que ce soit à l'extrême droite, et en tout cas à l'extrême gauche, sûr, c'est-à-dire Jean-Luc Mélenchon, LFI c’est anti-américanismes traditionnels de la gauche française ou autre, le grand Satan, le capitalisme, aucun sens de la justice ou autre.
Donc concrètement, ça fait quand même 60% de l'électorat qui a priori ne serait pas très favorable aux États-Unis. [..] Et puis il y a ce qu'on peut appeler le socle commun, c'est-à-dire ceux qui sont en train d'essayer de soutenir Macron depuis sept ans, qui sont plutôt pro-occidentale, c'est-à-dire que un, c'est reconnaissance de ce que les États-Unis ont contribué pour la France, et deux, c'est reconnaître que c'est un grand pays, c'est le plus grand pays.
Même s'il y a des critiques qu'on peut attribuer, c'est un pays entre guillemets génial où on peut créer, où toutes les grandes innovations viennent des États-Unis, ça ne vient pas de la Russie. Si vous avez un iPhone, si on a des ordinateurs ou autre, ce n'est pas parce qu'on a eu des Français qui étaient géniaux. […] Donc il y a quand même un peu cette fascination du rêve américain dans une partie de la France.
Les questions où l'influence américaine est la plus ressentie. Donc la politique commerciale. Principalement, c'est ça. Pour nous, en tout cas en France. Le reste, c'est d'espérer, mais ça c'est plutôt du macronisme, c'est espérer que les États-Unis vont continuer à collaborer de façon intelligente sur toutes les parties du monde. Et donc, une des différences par exemple avec la France, mais c'est un truc subtil et je ne suis pas sûr qu'il y ait beaucoup de gens qui l'observent.
Une des différences avec l'Italie, c'est que la France est un pays présent aussi dans le Pacifique, avec la Nouvelle-Calédonie,[..] Tout ce que les États-Unis peuvent faire vis-à-vis de la Chine ou par rapport à la Chine en termes de circulation de bateaux. La France a un propre politique indo-pacifique que l'Italie n'a pas, parce qu'elle n'a pas les mêmes intérêts, elle n'a pas les mêmes obligations. Mais nous, donc, parce qu'on est là-bas, on est attentifs à ce que les États-Unis peuvent éventuellement faire. [….] Les Américains ont, entre guillemets, dans notre dos, avec les Britanniques, ont récupéré le marché AUKUS, ce qui était quand même quelques milliards en moins pour l'économie française. Et ça, ça a été mal apprécié à ce moment-là. On avait rappelé l'ambassadeur américain. […] On a quand même un intérêt à suivre ce qui va se passer France-Chine, enfin, les relations États-Unis et Chine, et les conséquences.
Les Français ont-ils davantage suivi les élections de 2024 que les précédentes ? Comment évaluez-vous la couverture médiatique des élections américaines par les principaux médias français ? Est-elle plus ou moins importante que lors des précédentes élections ?
Je pense, en tout cas, ça, j'en sais rien, mais en tout cas, les médias ont largement suivi ça, ont largement couvert, que ce soit BFM, que ce soit les autres télés, parce qu'il y a, à mon avis, il y avait cette incompréhension que Donald Trump puisse encore être le candidat, puisse encore être, devenir le président. Et ça a quand même été une surprise qu'il y arrive, du côté français. Ça paraît un peu illogique, enfin, pas très rationnel qu'il puisse être élu aussi largement. Alors, je pense que oui, ils ont plus suivi, parce qu'il y avait un côté un peu surprenant que ça puisse se passer comme ça. La couverture médiatique a donc été plutôt bonne, je pense, quelque soit avec, à chaque fois, des envoyés spéciaux, des plateaux là-bas, ou autre. Donc, il y a eu quand même une bonne couverture. Je ne sais pas si les Italiens ont fait la même chose. A priori, il me semble qu'il y a moins d'argent. Enfin, peut-être que je me trompe, mais j'ai l'impression que les Français ont suivi plus que les précédentes élections, je pense que oui.
Quelle était vraiment l'opinion des Français sur Kamala Harris ?
[…] Mon opinion. L'opinion, ça n'a pas été une grande vice présidente. Bon, peut-être en raison aussi du jeu de rôle avec Joe Biden. C'est difficile d'être la vice-présidente de Joe Biden s'il veut tout contrôler, puisqu'il a une telle histoire personnelle que, bon, ce n'est pas facile. Même si elle a une trajectoire professionnelle tout à fait décente. […] Mais le choix de la prendre parce que femme, parce que venant de Californie, alors que lui était plutôt du côté Est, juriste, enfin procureur, avec des origines non américaines ou autres. Bon, le choix était intelligent par rapport à ce que Joe Biden pouvait représenter. C'était un peu son opposé au départ. Ensuite, elle ne s'est pas révélée une super vice-présidente. Et la campagne, mis à part le débat télévisé qui n'a pas été si mauvais que ça face à Trump, puisqu'elle l'a quand même un peu mis dans les cordes sur un certain nombre de questions, ça n'a pas été une super campagne. Et puis, c'était une campagne très marquée avec les stars hollywoodiennes. Et c'est vrai qu'elle était tout le temps en train de sourire. C'est bien, mais ce n'est pas suffisant. Et donc, bon, je pense qu'un autre candidat peut-être aurait pu faire mieux. Et notamment, il y avait une gouverneure américaine qui était mentionnée. Et s'il y avait eu effectivement une primaire bien organisée au cours de l'été ou autre, c'est possible que Kamala Harris n'aurait pas été choisie. Même si ça aurait été difficile, parce qu'il aurait fallu qu'elle se retire d'elle-même.